- Pain, fear and flight - [Pv Cameron]

Ainsi, il était de retour en ville. Mais l'avait-il réellement quittée un jour ? Dans tous les cas, mon frère nous avait abandonnées, ma sœur et moi, à l'un des moments les plus délicats de nos existences propres. La vision de son nom inscrit sur la journal avait eut pour effet de mettre tous mes poils au garde-à-vous, et même un grognement des moins humains s'était échappé du fin fond de ma gorge. Pourtant, je n'avais pas foncé tête baissée à l'adresse indiquée, même si l'envie fut très dure à réfréner. A la place, je pris place sur mon engin de mort, et sillonnait la ville sans casque, ne craignant pas les représailles d’une quelconque force de l’ordre. Je n’en avais rien à faire, ce n’était pas ces petits humains minables qui allaient me mettre au pas. Et encore moins des hommes qui semblaient ne rien comprendre à ce qui les entouraient. A m’entendre penser, n’importe qui aurait pu croire que je me tapais un super complexe de supériorité à cause de ma nouvelle condition de lycanthrope toute fraiche. Mais ce n’était pas vrai, j’étais entièrement consciente du fait que je ne savais rien, et qu’il devait exister des créatures âgées de plusieurs millénaires bien plus instruites si tous les écrits étaient réels. Au fond, si j’en voulais aux gendarmes et autres subalternes de ce genre, c’était parce qu’ils n’avaient jamais fait l’effort de tenter nous croire, Annya et moi. A leurs yeux, nous n’étions que des petites idiotes tentant de faire avaler à n’importe qui nos histoires purement sorties de notre imagination.

Après avoir fait le tour de mon ancienne propriété afin de m’imprégner des différents douloureux souvenirs qu’elle comportait, je remontai à califourchon sur ma précieuse moto pour m’en aller rouler en ville. La nuit n’allait pas tarder à tomber, et je sentais déjà ma peau me picoter, et mes sens s’affuter comme jamais. La sensation était telle qu’elle me donnait l’impression d’avoir des dizaines de milliers d’insectes grouillant sans cesse sous ma peau, cherchant à la décoller pour laisser place à cette fourrure noire qui pouvait me recouvrir seulement une fois la nuit tombée. Je m’arrêtais dans un coin après le crépuscule, partant en vadrouille au milieu des diverses flagrances qu’emplissaient l’air du centre-ville. Nourriture, sueur, échappements divers, parfums, et tout un énorme mélange de ce genre qui m’agaçait les narines. Auparavant, je ne me rendais pas compte à quel point une ville pouvait être aussi riche en odeurs, sons, et tout ce qui pouvait m’échapper en tant que simple humaine. Désormais, la donne était renversée, et j’ignorais si je devais m’en réjouir ou non. Dans tous les cas, mon estomac criait famine, mais même après un copier dîner, la faim était toujours présente. Du sang. J’avais soif de sang. Ou plutôt, la louve réclamait son quota d’hémoglobine, et reluquait avidement à travers mes yeux tous les êtres vivants croisés. Je m’engouffrai dans une ruelle après m’être assurée que personne ne s’y trouvait déjà, et pris place derrière une poubelle, les jambes repliées et serrées contre mon buste. Je les entourais de mes bras, et me forçais à me calmer en inspirant longuement.

Quelques minutes passèrent ainsi, si ce n’est des heures. Je tremblais à moitié, haletais, sentais mes pulsations cardiaque prendre leur envol. Même si je m’étais longuement entrainée, je peinais encore à contrôler la bête qui sommeillait tout au fond de moi la journée. J’aurais pu laisser mes pulsions agir comme elles le souhaitaient, mais étant éloignée de tout endroit pourvu de végétation, je luttais de toutes mes forces. Si jamais elle triomphait, il y avait fort à parier qu’un véritable massacre allait se produire dans les minutes qui suivaient. Mais finalement, et fort heureusement, mon esprit parvint à reprendre le dessus, suffisamment pour me permettre de me redresser et retourner dans la rue sans ne chercher à planter mes dents dans le premier morceau de chair humaine risquant de passer à ma portée. Je me rendis sur les quais, étant sure de ne trouver personne à une heure aussi avancée de la nuit. La lune, très loin de se trouver à son paroxysme, me narguait, haute dans le ciel, comme si elle tentait de m’écraser de sa puissance. Je la contemplai longuement, elle et ses compères nommées étoiles, jusqu’à sentir une odeur autre que l’iode qui me fit frémir une fois de plus. Le sang, la pourriture. Deux choses qui mirent tous mes sens en alerte. Le sang primait sur le tout, me forçant à fermer les yeux pour compter jusqu’à dix histoire de ne pas perdre la boule. Et là seulement, je me mis à courir, le poing refermé sur mon arme tout juste sorties, un Beretta doté d’un silencieux habituellement glissé dans mon holster d’épaule dissimulé sous ma veste de cuir.

Tout de noir vêtue, je courrais à l’aveuglette sans ne savoir vraiment où je devais me rendre, ne me fiant uniquement qu’à mon instant devenu instantanément bestial. Je conservais ma dignité humaine pour éviter tout risque de me faire repérer comme étant un monstre par les ignares, mais la bête guidait tous mes mouvements sans me demander mon avis. Le cuir de mes bottines et de ma veste couinaient dans le silence, tandis que mon baggy émettait un léger frottement à chacune de mes foulées. Dans tous les petits plus que ma transformation me permit d’acquérir, la nyctalopie était ce que je préférais. Je n’y voyais certes pas comme en plein jour, mais au moins je parvenais à me diriger sans mal dans un endroit où la clarté faisait défaut. Et au loin, une ombre passa, sur laquelle je me ruais instinctivement, le flingue pointé droit devant moi. "Arrête-toi saloperie !", me mis-je à beugler sans réfléchir, quasiment persuadée qu'il s'agissait là d'un contaminé.

A l'entente de la réponse offerte par la silhouette que je visais dans la pénombre, j'en déduisis rapidement qu'il ne s'agissait guère de ces choses inhumaines sur pattes. Quoi que je ne savais pas grand chose d'elles, si ce n'était que certaines se comportaient comme n'importe quel humain, alors je conservai une certaine méfiance à son égard. Cette loi était mienne, ne jamais croire quiconque à la première petite phrase donnée pour seule preuve, étant donné que la vie ne tenait qu'à un seul cheveu dans ce genre de situation. Mon revolver toujours pointé droit devant moi, je m'avançai d'un pas plus lent, ne sentant strictement aucune fatigue au niveau de mes bras -encore une chose dont j'étais profondément reconnaissante face à ma transformation, même s'il me semblait que pour les chasseurs, le fait que mon humanité soit partie ailleurs risquait fort de ne pas jouer en ma faveur-. Je guidai mon canon un peu en retrait de la jeune femme afin d'éviter qu'elle ne se sente en danger immédiat, m'essayant à une certaine feinte, lui faire croire que je visais ailleurs en m'attendant à voir la bestiole surgir de n'importe où. "Tu sais chérie, je crois pas que ce soit vraiment un endroit pour les minettes dans ton genre, surtout à une heure aussi tardive..." Je lui répondis d'une voix lasse, irritable. L'odeur du sang laissé sur la victime faisait monter ma pression sanguine, et je devais faire de nombreux efforts pour ne pas me remettre à haleter.

Une fois suffisamment proche, je me mis à humer l'air, tenter de sentir l'odeur de la jeune femme parmi toutes les flagrances qui me titillaient les narines. Si la pourriture se mettait à m'envahir le nez, je n'avais plus qu'à effectuer un pas rapide en arrière pour lui tirer en pleine tête, en espérant ne pas me faire avoir. Ces sales bêtes étaient fortes pour ce que j'avais déjà pu en constater, et j'avais cru pouvoir les devancer grâce à mes nouvelles acquisitions. Dans un combat à mains nues, je n'en menais pas large, et la plupart du temps il fallait que je me carapate la queue entre les pattes afin de conserver la vie sauve. S'ils arrivaient à m'atteindre, j'ignorais ce qui m'attendait. A cette époque, j'étais toujours persuadée que je terminerais comme ma pauvre mère, une chose sans cervelle juste bonne à sucer du sang à longueur de temps, et à grogner pour toute conversation. Du moins, pour un certain temps, parce qu'ils semblaient ensuite récupérer de leurs capacités intellectuelles, ce qui me compliquait pas mal la tâche pour mes chasses pour peu qu'une odeur un peu plus forte que la leur vienne me perturber, comme c'était le cas en cet instant avec l'âcreté du sang présent à mes pieds.

Je reniflai quelques instants comme un humain malade, et un sourire finit par enfin s'immiscer sur mon visage, relevant de la sorte les commissures de mes lèvres. Je ne souris pas à pleines dents, mes crocs ayant commencés à repousser un peu sous l'effet de l'excitation. "Ton parfum est agréable..." Je baissai le canon de mon revolver tout en tournant la tête, scrutant les environs immédiats. Je peinais à me concentrer, et me retrouvais alors incapable de savoir si notre cible était oui ou non dans les parages. "Non", répondis-je à sa dernière élocution, en prenant soin de réfléchir à ce que je pouvais lui révéler ou non. Puis je jouai la carte de la chance, peut-être se montrerait-elle prompt à m'en dire un peu plus sous le feu de l'action. "Je sais les tuer, tout comme à quel point leur force est incommensurable. Je crois que certains se transforment en véritables zombis, comme dans les films, mais d'autres agissent comme de vrais humains... Peut-être que tu saurais m'en dire plus là-dessus ? Ça pourrait m'aider à ne pas me faire tuer lors de mes prochaines escapades." Je mentais sur ce dernier point, j'étais simplement curieuse d'en savoir un peu plus sur ces créatures. Pour les reconnaître, je n'avais qu'à me servir de mon odorat, mais si d'autres points de reconnaissances plus efficaces que ceux que je connaissais jusqu'à présent étaient démontrés, je voulais les connaître.

"Avançons, histoire qu'il se fasse pas la malle."

Le flingue un peu relevé, je me remis en marche en de petits pas, en prenant soin d'enjamber la victime tout en bloquant ma respiration. Si je continuais à renifler cette odeur de sang frais, je n'étais plus bien sure d'être en mesure de conserver ma conscience humaine. Me transformer en louve devant une humaine, inconnue de surcroit, pouvait me coûter très cher. J'aurais tôt fait de récupérer mes esprits après quelques coups de langue dans le liquide vital sous ma forme lupine, mais le mal serait déjà fait, et les contaminés pouvaient trouver tout le temps de jaillir de nul part pour m'ôter la vie. Ou alors simplement la femme, d'une balle dans la tête. "Leisha", lâchai-je subitement, comme pour faire la conversation, et me présenter par la même occasion. En cas de problème, pouvoir mettre un nom sur la personne à appeler était toujours mieux que truc, bidule, ou machin.